Tour Invictus

Un défi à la hauteur

À l’image d'autres grandes villes européennes, Fribourg est en train de se doter d’un gratte-ciel de 60 mètres. Un exercice de haute voltige qui viendra compléter le panel encore bien maigre des tours résidentielles présentes en Suisse romande.

La vue depuis la tour sera unique
La vue depuis la tour sera unique - Copyright (c) DR
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Imaginez-vous: le matin, un café à la main et devant vous, ni plus ni moins qu’un panorama imprenable, éloigné de l’agitation citadine. À vos pieds, la vue lointaine de ce tissu urbain qui s’étend sans cesse vers nos campagnes, se rapprochant des montagnes qui font office de toile de fond depuis votre belvédère. Du calme, de la luminosité et pas de vis-à-vis... mais ceci n’est pas un rêve. Bien que peu répandu pour le moment, l’habitat en tour résidentielle tend au- jourd’hui à se multiplier en Suisse.

Des débats tranchés

Malgré une dimension monumentale qui divise dans un pays plutôt plat, la démographie galopante, la pénurie de logements et le mitage du territoire ne laissent plus guère le choix. Il faut désormais construire et bâtir à la verticale. Les alémaniques l’ont pour leur part déjà compris, avec notamment le cas à Zurich de réalisations telles que la Prime Tower (126 m) et Hardau (93 m) ou à Bâle avec les tours Roche (178 m et 205 m).

Mais en Suisse romande, les débats restent pour l’heure passionnels. Les tours: soit on les aime, soit on les déteste. En témoigne le rejet dans les urnes de la tour Taoua (87 m), à Lausanne, en 2014, qui avait provoqué un tollé et tué dans l’œuf le projet. Pourtant, ce changement d’échelle s’avère inévitable. Preuve en est à Fribourg, qui jouit d’un développement inégalé et confirme cette tendance avec une tour de 60 m prévue prochainement.

Une attente vertigineuse

Le bâtiment, de taille inhabituelle, montera jusqu'à 60mdiaporama
Le bâtiment, de taille inhabituelle, montera jusqu'à 60m

Initialement conçue sous le nom de «tour de Beaumont» (en référence au quartier où elle se situe), cette structure aux dimensions atypiques a fortement évolué depuis ses premières ébauches en 2011. Née sous l’impulsion du développeur Laurent Chappuis, directeur de Proxiland Real Estate SA, la mouture initiale de cette tour prévoyait une variété d’activités réparties sur 17 étages. Plus de 1000 m2 de galeries marchandes, 88 chambres d’hôtels, un fitness, un restaurant de 70 places ainsi que 45 appartements à vendre, le tout labellisé Minergie et raccordé au chauffage à distance.

Un concept mûr dont le permis avait été délivré mais qui traîna un moment... jusqu’à s’essouffler. C’est à ce moment-là que Thomann Promotion Immobilière entre en jeu. «En 2022, mon neveu Killian Hirsbrunner avait entendu parler de ce projet en stand-by à Fribourg, alors nous avons rencontré Monsieur Chappuis afin de lui proposer de reprendre les rênes de ce développement. Étant donné que nous avions déjà conçu notre propre tour de 54 m à Yverdon (voir encadré) et que nous avions plus de 35 ans d’expérience dans les promotions, il a choisi de nous faire confiance et nous a cédé son bébé», se remémore Claude-Alain Thomann, fondateur de l’entreprise éponyme, basée dans le canton de Vaud.

Puis tout s’accélère...

L’heure est alors au changement, pour le bien du projet. «Il fallait avancer. Or, le problème était que les logements étaient trop grands, trop chers par rapport à la demande du marché, que la taille des surfaces commerciales était elle aussi inadaptée et puis avoir un hôtel, au niveau du financement, restait très complexe. Nous avons ainsi repensé et rebaptisé la tour Invictus», décrit le développeur. Deux étages se sont donc ajoutés, faisant de l’édifice le deuxième bâtiment le plus haut de la capitale fribourgeoise, après la cathédrale Saint-Nicolas (74 m) mais devant le NH Hôtel (57 m).

En parlant d’hôtel, celui qui devait occuper la tour a été remplacé par des logements adaptés aux seniors, 56 au total (achetés par un fonds immobilier), dont les seuils, salles de bain, ascenseurs ou encore buanderies seront équipés pour la mobilité réduite (sans être médicalisés). De quoi favoriser la mixité intergénérationnelle car plus haut, dans les étages supérieurs, 72 appartements seront construits (contre 45 planifiés au départ), tous munis de balcons et d’une vue à couper le souffle sur les Préalpes fribourgeoises ou sur la ville de Fribourg. Enfin, seuls 522 m2 seront dédiés aux surfaces commerciales. En tout, c’est donc 128 nouveaux appartements qui seront construits.

Ainsi organisé, tout a pu ensuite aller très vite pour le projet. «Nous avons signé en octobre 2022 avec Laurent Chappuis, puis le bureau d’architectes a travaillé jour et nuit à nos côtés pour déposer le projet à l’enquête publique en mars 2023, où seulement 36 oppositions ont été signalées pour finalement être levées par la commune», témoigne Claude-Alain Thomann. Un processus accéléré «que l’on doit notamment à l’agilité de notre petite entreprise, assure le promoteur. C’est un des paramètres qui a fait la différence, nous sommes au four et au moulin et gérons tous nos dossiers de A à Z».

Autre élément qui aura favorisé ce record de vitesse: le hasard du calendrier. «Nous sommes arrivés en bout de course. Monsieur Chappuis avait fait le plus dur en faisant accepter le projet. Nous l’avons adapté mais entre le jour où vous achetez le terrain, vous le financez, vous obtenez le permis de construire et vous faites face aux recours, développer une tour est un vrai parcours du combattant», souligne le Vaudois.

Un enjeu de taille

Les appartements PPE iront du 2,5 au 5,5 piècesdiaporama
Les appartements PPE iront du 2,5 au 5,5 pièces

Un parcours du combattant qui vaudra le nom d’Invictus à toutes les tours réalisées par Thomann Promotion Immobilière. «Construire des tours aujourd’hui n’est pas encore rentré dans les mœurs, ce n’est pas si simple. Une fois que toutes les difficultés et oppositions sont dépassées, vient le souci de la technique car lorsque vous bâtissez au-delà de 25 m, tout change», pointe Claude-Alain Thomann. Désenfumage, normes anti-feu, ventilations, canalisations... s’élever en hauteur relève véritablement du casse-tête. Bien qu’un premier travail d’analyse ait pu être pratiqué en amont à Yverdon, la tour Invictus de Fribourg a donné du fil à retordre aux équipes.

Les différents mandataires ont d’ailleurs joué un rôle primordial sur ce type de projet d’après le promoteur: «Il faut une bonne dose de compétence mais aussi des gens qui n’ont pas peur de travailler sur des bâtiments de cette hauteur. Les spécialistes qui veulent opérer sur des gabarits qui sortent de la normalité (de plus de 25 mètres) ne courent pas les rues.» Pour cet essai, Thomann Promotion Immobilière a ainsi pu compter sur l’aide de QUBB Architectes, de la Banque cantonale de Fribourg ou encore de Grisoni-Zaugg.

Un travail de fond qui aura demandé de penser chaque détail. «Prenez le nettoyage des vitres. À Yverdon nous devons faire intervenir un cordiste avec une nacelle à chaque fois qu’une tempête de sable a lieu ou qu’un store se coince, cela coûte très cher». Alors, pour cette tour fribourgeoise, des balcons ont été prévus. Ce qui implique en outre d’effectuer des concessions, en particulier concernant l’innovation. «Ériger une tour est déjà expérimental en soi alors il faut être prudent et savoir où l’on met les pieds avant de se lancer. Le public est très exigeant avec ce type de produit alors nous avons évité les conceptions en bois et les technologies disruptives, car elles ne font pas partie de notre domaine de compétences», appuie le développeur. Parmi elles, des panneaux photovoltaïques en façade avaient été évoqués afin d’augmenter la quantité de solaire déjà installé sur le toit mais le choix de la sûreté a été privilégié.

Les choses sérieuses commencent

Dans l’attente du résultat final (agendé à février 2027) et de la nouvelle silhouette que donnera ce gratte-ciel à Fribourg, le chantier s’active. Les travaux préparatoires et le terrassement de 16'500 m3 de terrain sont en cours depuis janvier mais le succès de la commercialisation des appartements donne déjà un avant-goût de l’accueil très positif que les futurs habitants lui feront. Une réussite de plus pour Claude-Alain Thomann qui ne compte pas en rester là: «Si l’occasion de concevoir une troisième tour se présente, je ne serai pas contre», conclut-il. L’avis de recherche est donc lancé. Reste à voir si cet élan de verticalité contagieux en Romandie marquera le début d’une nouvelle ère architecturale...

Zoom sur la tour Invictus d’Yverdon

La tour Invictus d'Yverdondiaporama
La tour Invictus d'Yverdon

Plus haut bâtiment habité d’Yverdon-les-Bains, la tour Invictus est depuis quelques années le nouveau point culminant de la ville. Intégré dans un plan de quartier de 1994 visant à réaffecter des friches industrielles, cet édifice situé entre l’avenue Haldimand et la ligne CFF Lausanne-Yverdon a été érigé à l’emplacement d’un ancien silo à grain Landi de 1970, démoli pour l’occasion. Des travaux de grande ampleur menés par l’entreprise de développe- ment Thomann Promotion Immobilière et le bureau Dolci architectes de 2016 à 2019, débouchant sur une tour de 54 m de haut (17 niveaux) et offrant à présent 1140 m2 de surfaces administratives ainsi que 29 appartements. Un immeuble d'un gabarit équivalent au précédent mais aux volumes plus contemporains surplombe désormais le centre-ville, se distinguant par sa transparence et ses façades dont les reflets jouent avec le soleil au fil des heures.

La course aux gratte-ciel: dix exemples de projets et réalisations de tours romandes par ordre chronologique

  1. Tour Bel-Air (19 étages)

Lausanne. Première de Suisse Construite en 1932.

  1. Tours du Lignon (26 et 30 étages)

Vernier. Plus hauts bâtiments du canton. Érigées dans les années 1960.

  1. Tour de Carouge (22 étages)

Carouge. Faisant partie d’un ensemble de six immeubles. Plus haute tour (et dernière) livrée en 1973.

  1. Tour Invictus (17 étages)

Yverdon. Remplace un ancien silo à grains. Inaugurée en 2019.

  1. Tour Opale (19 étages)

Chêne-Bourg. Défi d’une réalisation durant la pandémie. Terminée en mai 2020.

  1. Tours de Pont-Rouge (15 étages pour la plus haute)

Lancy. Nouveau quartier d'affaires. Livrées en 2023.

  1. Tour Pictet (24 étages)

Carouge. Extension du siège actuel de la banque avec logements. En cours de réalisation.

  1. Tour Tilia (27 étages)

Prilly. Sera composée d’un mix béton-bois. Pose de la première pierre fin avril 2024.

  1. Tour des Cèdres (36 étages)

Chavannes- près-Renens. A la particularité d’être recouverte de végétation. Mise à l’enquête.

  1. Tour de l’Étoile (27 étages)

Carouge. Quartier en mutation du PAV. Autorisation de construire approuvée.