Dossier spécial

Sécheresse: quid de l'aménagement des jardins?

Les épisodes caniculaires et le manque de précipitations ne laissent plus guère le choix aux propriétaires d’espaces extérieurs, les forçant désormais à planter, traiter et agencer durablement.

Les propriétaires romands se voient obligés de repenser leurs extérieurs.
Les propriétaires romands se voient obligés de repenser leurs extérieurs. - Krebs Paysagistes.

Dans un contexte économique, climatique et géopolitique plus que jamais incertain, toute tâche à anticiper devient alors herculéenne. Néanmoins, s’il y a bien un phénomène auquel on peut s’attendre ces prochains mois, c’est bel et bien celui des sécheresses à venir. En effet, si les derniers étés caniculaires enregistrés avant 2022 remontaient à 1947, 2003 et 2018 (plus de 50 ans se sont écoulés entre 1947 et 2003), des intervalles aujourd’hui plus courts sont redoutés entre les épisodes de manque d’eau. D’autant que cet hiver aura été marqué lui aussi par un état des nappes phréatiques «inquiétant» selon les spécialistes du pays. Aux grands maux, les grands remèdes, les propriétaires de jardins romands se voient obligés, dès à présent, de repenser leurs espaces verts. Pour les y aider, deux experts font le point sur la situation et les possibilités en vue d’un extérieur plus durable dans le temps et pour l’environnement.

Les piscines aussi peuvent être plus écologiques.
Les piscines aussi peuvent être plus écologiques.

LES 15 POINTS CLÉS À RETENIR

selon Yann Delévaux, fondateur de Germa Paysages

  1. CHOISIR DES GRAINES POUR ZONES ARIDES
    «Une grande part de notre demande se concentre sur les gazons durables. C’est pourquoi nous travaillons avec notre partenaire semencier afin de proposer des graines pour zones arides, afin que les gazons en rouleau ou semés soient moins gourmands en eau.»
  2. RÉCUPÉRER L’EAU DE PLUIE
    «Parce qu’elles se sont rendues compte que l’eau du réseau était précieuse ou sous la pression des restrictions communales, de plus en plus de personnes craignent le déficit hydrique. Nous les orientons vers des cuves de récupération d’eau de pluie. Nous proposons de creuser pour mettre en place des cuves qui vont être branchées sur les eaux pluviales de toit ou sur les drainages du jardin, que l’on rebranche ensuite à l’eau du terrain pour l’arroser. Cela nécessite une autorisation.»
  3. SE SERVIR DE L’EAU DU LAC
    «Autre phénomène: nous constatons également que nos clients sont de plus en plus nombreux à se renseigner pour récupérer l’eau du lac et essaient d’avoir des autorisations du canton pour pouvoir s’y raccorder.»
  4. LA SOLUTION MIRACLE N’EXISTE PAS ENCORE
    «Du haut de nos 14 ans d’expérience, nous avons tout vu au niveau météorologique. Il n’y a qu’à comparer l’été dernier, extrêmement sec, avec celui de 2021 où nous avions eu deux mois de pluie. Nous restons donc prudents concernant les plantes exotiques et les solutions dites «miraculeuses». Nous ne sommes pas à l’abri d’un hiver rude, neigeux avec de la bise, qui décimerait les plantes en pleine terre peu habituées à ces changements de températures. A l’instar des oliviers qui sont très fragiles et qui nous ont obligé à revenir plusieurs fois chez nos clients cette saison pour les protéger de la météo variable.»
  5. LE DILEMME DE LA «DURABILITÉ»
    «Pour les matériaux de terrasse par exemple, la céramique et autres matières naturelles sont en vogue mais nous nous retrouvons souvent face à un dilemme. Mieux vaut-il privilégier une palissade en aluminium, posée une fois, qui va durer 20-30 ans ou une palissade en composite qui va être changée tous les dix ans mais à l’impact environnemental moindre? Telle est la question.»
  6. VERS DES MACHINES MOINS POLLUANTES
    «Quand on renouvelle des véhicules ou machines, nous faisons l’effort d’aller vers des modèles plus écologiques mais les constructeurs eux-mêmes développent et commercialisent à présent des versions moins polluantes. Par la force des choses, les particuliers vont aussi renouveler leur matériel pour aller vers des équipements qui consomment moins, cela vaut notamment pour les robots tondeuses.»
  7. LIMITER LES PRODUITS PHYTOSANITAIRES
    «En matière de produits phytosanitaires, en 14 ans nous les avons réduits de 80%. Dans notre succursale du Valais, par ailleurs, nous n’avons quasiment plus de traitement de gazon car la clientèle valaisanne est davantage sensible qu’auparavant à la pelouse dite «naturelle». Les choses avancent déjà dans le bon sens à ce niveau-là.»
  8. OPTER POUR DES PISCINES ÉCORESPONSABLES
    «Par nature, les piscines ne sont pas écologiques mais il en existe malgré tout des versions considérées comme «le plus écoresponsable possible». Nous travaillons par exemple avec les piscines Waterair qui sont équipées de panneaux en acier et de couvertures solaires pour une utilisation de béton, d’eau et d’énergie divisée par dix par rapport à la normale.»
  9. UN CHOIX DE PLANTES ÉCLAIRÉ
    «Notre mission est d’aiguiller le client en lui proposant un choix de plantes plus adapté à ces enjeux climatiques. Les laurelles, qui sont des plantes à grand succès mais extrêmement néfastes pour la biodiversité, sont très demandées depuis des années mais on insiste et recommande des alternatives. En tant que professionnels, nous avons avant tout un devoir de conseil.»
  10. PROPOSER DES CLÔTURES DE JARDIN ADAPTÉES
    «Autre produit que nous mettons en avant et soulignons aux yeux de notre clientèle: les clôtures «biodiversité» Lippi. Aujourd’hui tout le monde veut grillager son jardin, or comme Pro Natura ne cesse de le rappeler, en clôturant ces espaces de nature, on empêche la petite faune de circuler. Les clôtures «biodiversité» de notre partenaire Lippi sont justement constituées de panneaux de grillages dotés de grandes mailles afin de laisser passer les hérissons, les grenouilles, etc.»
  11. CHOISIR UNE TERRASSE EN GRAVIER
    «En ce qui concerne les revêtements, le moins impactant reste le chemin naturel. Parmi les solutions existantes, on peut également travailler avec du limana qui est une matière minérale que l’on vient compacter et qui donne des terrasses de gravier, d’époque, sans revêtement dessus.»
  12. LES TOITS VÉGÉTALISÉS REVIENNENT EN FORCE
    «Les toitures végétalisées étaient déjà à la mode il y a dix ans, comme les façades végétalisées, mais ces produits peu maîtrisés ou mal entretenus à l’époque avaient perdu de leur charme au fil du temps et sont en train de revenir en force depuis l’an passé.»
  13. MISER SUR LES INNOVATIONS
    «De nombreuses nouveautés arrivent sur le marché et sont encore méconnues, à l’image des pergolas bioclimatiques dont le toit est constitué de lames orientables (utile par météo variable).»
  14. SE TOURNER VERS DES MATÉRIAUX LOCAUX
    «En Valais, notre offre de revêtements est toujours à base de bois local. Nous travaillons avec du mélèze du Valais, avec des forestiers et des scieries locales pour limiter l’impact climatique. Cela tombe sous le sens mais ce n’est pas constamment le cas et pareil pour les pierres qui viennent de nos carrières ou les plantes qui, au lieu de venir des pépinières italiennes ou allemandes (moins chères), viennent du coin.
  15. UNE PRISE DE CONSCIENCE POST-COVID
    «Nous avons observé une réelle prise de conscience collective depuis la pandémie car, davantage chez eux, les clients nous ont vu traiter leurs jardins (vêtus et équipés comme pour aller à Tchernobyl) et se sont rendu compte de ce que cela impliquait de traiter leurs plantes. Les traitements ont donc fortement diminué depuis le Covid mais je dirais qu’en 14 ans, de manière générale, nous voyons de plus en plus de prairies fleuries, de monticules de terres et d’insectes dans les jardins grâce a un effort de sensibilisation qui est mené aussi par les pouvoirs publics.

GERMA PAYSAGES EN BREF
Entreprise d’aménagements extérieurs située à Monthey depuis 2009, Germa Paysages a également une succursale sur Vaud depuis 2011, et un nouveau showroom qui se visite sur rendez-vous uniquement dans la succursale d’Etoy (+41 79 628 15 21), route du Stand 31. L’entreprise occupe environ 40 collaborateurs avec de nombreuses spécialités.

Un étang réalisé par Krebs Paysagistes afin de stocker l’eau petit à petit.
Un étang réalisé par Krebs Paysagistes afin de stocker l’eau petit à petit.

LES 15 POINTS CLÉS À RETENIR

selon Stéphane Krebs, à la tête de Krebs Paysagistes

  1. RESPECTER LE SOL, LE B.A.-BA
    «Afin d’éviter que la terre végétale que l’on pose sur son sol n’adhère pas et empêche l’eau de s’infiltrer, il y a un ordre, des couches importantes à respecter. Après des travaux par exemple, si le sol est mal reconstitué, celui-ci nécessitera davantage d’eau/entretien par la suite.»
  2. CONNAÎTRE LES PLANTES À ASSOCIER
    «Bien entendu, choisir des plantes méditerranéennes permettra au jardin de mieux résister à la chaleur et au sec mais encore faut-il les sélectionner correctement pour qu’elles résistent tout autant au froid et les combiner intelligemment avec d’autres espèces. La lavande notamment survit aux basses températures mais pas un laurier rose qui gèle. Il faut éviter de mettre des fougères au sud car elles requièrent de l’humidité, de l’air et de l’eau, ou alors l’abriter avec un arbre tel que le chêne vert, pour sa robustesse. Il y a aussi toutes les essences que l’on a déjà chez nous qui supportent très bien les conditions extrêmes et auxquelles on ne pense pas: les orpins, les sedums, etc.»
  3. BIEN PLANTER AU BON MOMENT
    «La qualité du végétal à la plantation compte beaucoup car mal élevé ou cultivé, celui-ci aura plus de difficulté à s’implanter et s’enraciner. Ce qui demandera plus d’entretien, de soins, d’arrosage etc. De même, deux périodes sont judicieuses pour planter les arbres, les plantes et végétaux: l’automne et le printemps, afin qu’ils évoluent le plus rapidement possible avant l’été suivant.»
  4. AMÉLIORER LA RÉTENTION DE L’EAU DU SOL
    «Amender le sol est primordial pour améliorer la rétention de l’eau dans le sol. Qui dit meilleure rétention d’eau dit moins d’arrosage. Pour cela, il suffit d’ajouter de la matière organique, du compost, du sable, et augmenter ainsi le volume de la terre végétale afin d’obtenir un réservoir de sol de 20 à 30 cm. Le binage joue également un rôle important puisque l’on dit que biner le sol vaut deux arrosages (favorise les échanges gazeux et l’eau descend mieux).»
  5. LIMITER L’EMPIERREMENT
    «On parle souvent de canicule et de sécheresse mais un des éléments qui influe le plus sur la quantité d’eau nécessaire à l’entretien d’un jardin est en particulier l’intensité solaire. Du fait de l’échauffement du feuillage via des rayons UV qui tapent dessus plus longtemps et plus fort, les besoins en eau des plantes augmentent. Afin de limiter cet échauffement, il faut étager la végétation ou planter des arbres qui feront de l’ombre au sol et
    rafraichiront l’atmosphère. On oublie donc les déserts de pierre et protège le sol à l’aide de paillage (minéral ou organique). Ce qui équivaut d’ailleurs à 15 arrosages.»
  6. DIVERSIFIER LES RESSOURCES EN EAU
    «Le manque d’eau étant persistant, il faut donc diversifier ses sources. Il y a certains endroits (terrains en pente) où il est possible d’avoir un drainage qui vienne de parcelles en-dessus, permettant de récupérer l’eau avec un puit ou un étang et la stocker petit à petit, pour la réutiliser. Il est aussi possible de construire une citerne dans une maison existante, de 10 m3 par exemple, alimentée par l’eau du toit. Mais pleine en début de saison, celle-ci se vide après seulement deux semaines sans pluie. Un gros investissement nettement moins efficace qu’un étang à niveaux variables.»
  7. LA TENDANCE DU «ZÉRO ENTRETIEN»
    «Au niveau de la demande, nous proposons des jardins plus durables dans notre conception mais, pour le moment, les clients cherchent avant toute chose un extérieur sans entretien ou réduit à son minimum. Fort heureusement, les deux buts concourent dans le même sens, si on opte pour des plantes moins gourmandes en eau, alors il faudra moins arroser…»
  8. UN GAZON QUI NE S’ARROSE PAS
    «Aussi impensable que cela puisse paraître, nous avons développé un gazon qui n’a pas besoin d’être arrosé, et ce, grâce à un mélange fait par nos soins.»
  9. LE TERRATETRA POUR SON POTAGER
    «Autre innovation que nous avons élaboré, un terreau biologique pour potager à base de brûlis. Inspiré du savoir-faire ancestral des Indiens de la forêt amazonienne, cette technique rend le sol extrêmement riche naturellement, sans produit chimique. C’est une recette similaire, dans le respect des proportions du nombre d’or, que j’ai recréé pour obtenir ce substrat aux propriétés de croissance stupéfiantes pour les végétaux.»
  10. S’ADAPTER AU LIEU, CHAQUE JARDIN EST DIFFÉRENT
    «En fait, il est difficile de désigner la recette d’un aménagement parfait pour limiter sa consommation d’eau et son impact environnemental. Il faut s’adapter au lieu, trouver les ressources à disposition et appliquer en fonction de cela tout ou partie des solutions susmentionnées. Dans la pratique, on ne fait jamais deux fois le même jardin.»
  11. MISER SUR LES TRAITEMENTS BIO
    «Par rapport aux produits phytosanitaires, nous avons pour objectif final de ne plus traiter mais cela prendra plusieurs années pour n’avoir plus que des variétés résistantes. En attendant, nous avons une gamme de produits totalement biologique. A ce propos, la liste des produits de traitement efficaces (mais polluants) autorisés en Suisse se réduit à vue d’oeil avec le temps. Nous serons donc, tôt ou tard, forcés de trouver des alternatives et supprimer certaines plantes.»
  12. LE RÔLE DE CONSEIL DES PROFESSIONNELS
    «Notre rôle est de rendre attentif le client sur tous ces éléments, de pousser un peu plus loin que ce qu’exige la commune, et d’expliquer le pourquoi du comment. C’est à nous de présenter des murs en pierres sèches, des hôtels à insectes géants, ce genre de choses-là.»
  13. REVOIR NOTRE PERCEPTION DU JARDIN
    «Les jardins sont tenus de se réinventer pour affronter les sécheresses et canicules de demain. Nous devons pour cela revoir l’appréhension que nous en avons. Il y a des choses qu’il ne faut plus faire comme il y a vingt ans (planter des massifs de rhododendrons en plein soleil, etc.) et nous
    devons nous projeter dans un futur très sec, aride. Malheureusement, nous avons encore dans l’imaginaire collectif l’idée d’un jardin verdoyant, il faudra donc se montrer plus tolérant à l’avenir.»
  14. TOUT RESTE ENCORE À FAIRE CÔTÉ SOLUTIONS
    «Pour avancer plus vite, il faudra trouver des alternatives plus résistantes. Nous avons réussi pour le gazon car c’est relativement facile mais, si on part sur une variété de rosiers, nous devenons tributaires de duplicateurs et d’une multitude de facteurs donc la solution durable ne sera pas pour tout de suite. En clair, nous faisons de mieux en mieux mais nous avons encore du chemin à faire. Le photinia, une sorte de laurelle avec des pousses rouges au feuillage persistant, ou encore le jasmin à fleur étoilée sont, par exemple, des espèces sous-estimées. Il y a également un arbre d’avenir selon moi, qui est le savonnier de Chine, qui vient de loin mais qui est très intéressant car il monte jusqu’à 15-20 mètres, résiste aux canicules, à la sécheresse, à l’ensoleillement, au sel de déneigement, il est beau, il a un feuillage découpé, une belle floraison en grappe jaune et des fleurs en forme de lanternes japonaises.»
  15. UN MÉTIER QUI ÉVOLUE CONSTAMMENT
    «En 85 ans, le métier de base de paysagiste est resté le même mais il a tout de même évolué. Il s’est mécanisé certes, le design, les attentes et les modes ont changé mais ce qui a le plus bouleversé la profession c’est l’évolution climatique. Il y a des végétaux que l’on étudiait au loin durant mes études, au début des années 90, qu’on ne connaissait pas ici mais qu’on voyait dans le sud de la France et qui sont maintenant partout. Force est de constater, que nous devons donc nous adapter.»

KREBS PAYSAGISTES EN BREF
L’entreprise Krebs Paysagistes, basée à Blonay, se consacre à l’aménagement des jardins romands depuis 85 ans. Trois générations se sont déjà succédé et seront bientôt rejointes par l’arrière-petit-fils de son fondateur, Tanguy Krebs.